Avant, quand on te parlait de course à pied, tu pensais à Forrest Gump, un simple d’esprit obligé d’apprendre à « courir comme souffle le vent » parce qu’on lui jetait des cailloux. Une vision qui te convenait parfaitement : courir oui, mais seulement sous la menace. Mais ça, c’était avant…
Aujourd’hui, la course t’évoque ta copine, récemment embrigadée dans la secte des runners.
Pourquoi le running fait-il autant de victimes ?
Cette communauté de fanatiques a effectué un remarquable travail de comm’ pour rendre attrayante une activité hautement clivante. Elle a d’abord opéré un ripolinage sémantique, en rangeant au placard le besogneux « course à pied », à côté du « footing » et du « jogging » aux sonorités par trop dilettantes. Elle utilise désormais le très sérieux « running » ou « run » qui a l’énorme avantage de rimer avec fun.
Les fous de run ont ensuite glamourisé l’image du coureur (oui, le terme est presque aussi laid que l’idéologie qu’il véhicule) : envolée l’étiquette du marathonien qui, après 5 heures de trotte dans les pattes, franchit la ligne d’arrivée en courant de guingois, la langue pendante et les tétons en sang. Célébrons l’avènement du runner fresh et friendly, sponsorisé par Nivea Men et téléguidé par son smartphone !
Tu as compris qu’ils t’avaient pris ton amie le jour où tu as reçu ce sms : « Désolée, peux pas bruncher avec toi, vais courir. » Tu as attendu le lol, l’émoticône ou le mouhaha indiquant la blague. En vain.
Le running, un repaire de sado-masochistes ?
Les premières images de « 50 nuances de Grey », montrent le footing matinal de notre (h)éros monomaniaque de la cravache. Plus tard, ça sera au tour de sa soumise, Anastasia, de galoper gaiement dans les rues de Seattle. Le sadique court. La maso itou. Les coureurs sont des sado-masos. CQFD.
Quand une nouvelle recrue crache ses poumons, les anciens sautillent en frappant des mains comme des otaries sous acide : « C’est biiien, c’est la phase de décrassage ! »
Quand elle souffre sur le parcours et essaie de se cacher derrière un buisson pour agoniser en paix, ils l’en empêchent. Ils ont d’ailleurs recruté des vigiles chargés d’étouffer toute tentative de rébellion. On les appelle les « lièvres » pour ne pas effaroucher la malheureuse qui joue donc le rôle de la tortue. Alors que cette dernière lutte pour approvisionner ses poumons en oxygène, son lièvre, qui manifestement pète le feu, lui hurle dans les oreilles : « Allez on ne lâche rien ! On s’accroche ! Alleeeeeeeeez. » La tortue pense très fort : « Tu vas la fermer, ta grande g… » Mais elle ne moufte pas. Principalement parce qu’elle ne peut plus respirer. Et qu’accessoirement, elle a peur du méchant lièvre. Alors elle obtempère, donne tout ce qu’elle a sous sa carapace et finit la course. A l’arrivée, syndrome de Stockholm oblige, elle tombe dans les bras de son bourreau et lance à la cantonade, un sourire tremblant aux lèvres : « C’est quand qu’on remet ça ? »
Quand la runneuse surfe sur la Toile
Une fois enrôlée, l’accro du running passe à l’étape numéro 2 : la propagande. Car comme toute secte, l’objectif des runners est de convertir un maximum de nouveaux adeptes.
Ton amie inonde les réseaux sociaux de selfies « avant » et « après » course. Dopée aux endorphines, elle affiche généralement un smile ultra bright de pubs pour dentifrice ou lève le poing au ciel, sa médaille de finisher entre les dents.
La runneuse a la fâcheuse particularité de cumuler les travers des addicts habituels de Facebook et Cie. Tu auras donc également droit à ses photos de vacances qu’elle fait coïncider avec des courses organisées un peu partout dans le monde. Elle qui adorait faire la crêpe sur la plage et montrer ses jambes bronzées, poste aujourd’hui des clichés de ses Nike Free Run posées sur le sable blanc d’une crique au Mexique, les lacets flottant dans la brise marine.
Tu connaîtras son régime alimentaire en détail car elle va mitrailler sa gamelle sous tous les angles avec des légendes explicites : « Régime de champion en vue du semi » ou « Après l’effort, le réconfort – brunch avec les copines (car oui, elle brunche de nouveau… mais pas avec toi, avec ses nouvelles BFF runneuses).
Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil
Pour nous faire oublier qu’ils veulent asseoir leur domination sur la planète entière, les membres de l’Ordre du Run adoptent l’attitude et le look sucré des Bisounours. Ce qui donne du fil à retordre à la Fashion Police.
En effet, l’accro au running piétine allègrement sa dignité d’ex-modeuse. Celle qui dissertait en boucle sur l’élégance française et les « indispensables » à avoir dans son dressing se transforme en kaléidoscope ambulant, au plus grand mépris de la « règle des 3 couleurs » . T-shirt vert fluo aux mailles respirantes, bandeau absorbant bleu turquoise et baskets arc-en-ciel, ta copine est devenue daltonienne.
Aussi choquant soit-il, ce nuancier vestimentaire est en parfaite résonance avec la philosophie des adeptes du run, car « le run, c’est fun », rappelons-le. Afin de renforcer le sentiment d’appartenance et d’obtenir un lavage de cerveau efficace, la secte organise des activités de groupes festives, comme la Mud day, la Color run ou encore la Bubble run. Ces évènements s’inspirent directement des jeux d’éveil créatif pour les moins de 5 ans car le runneur est resté un grand enfant.
Mais la secte pense aussi à ceux qui sont un peu trop titillés par leurs hormones et leur offre la possibilité de participer à des soirées-running afin de « trouver l’âme sueur ».
Bref, comment ne pas en vouloir à l’accro du running ?
Elle ne veut plus être ta copine, est en meilleure forme que toi et a une vie sociale plus animée que la tienne. La runneuse te ruine le moral. De fait, quand tu as tapé « runneuse » dans ton traitement de texte, ton correcteur d’orthographe automatique t’a proposé « ruineuse » à la place… on peut difficilement faire plus clair.
Doctor Valium
Crédit de une : Pexels