Sans travail et criblé de dettes en Estonie, Alex a décidé de partir sac sur le dos afin d’éviter de croiser ses créanciers, qu’ils soient institutionnels ou mafieux.
Depuis janvier 2014, il vit dans une grotte en Andalousie sur la côte méditerranéenne dans une ville balnéaire nommée Nejra à une quarantaine de kilomètres de Malaga.
Il est arrivé là après avoir passé deux ans dans la communauté hippie de Bénéficio. Sa journée se partage entre « recycling » (comprenez faire les poubelles à la recherche de bouffe ou de tout truc utile), bronzer à la plage et faire des bulles de savon géantes pour glaner quelques pièces auprès des touristes anglais présents tout au long de l’année.
TDP : Raconte-nous les circonstances de ton arrivée à Nejra
Je m’appelle Alex, je suis Estonien et j’ai quitté mon pays il y a plus de trois ans à cause de dettes que j’avais « contractées » auprès du gouvernement et de quelques personnes peu recommandables que je ne souhaite pas recroiser.
Que veux-tu dire par peu recommandables ?
Tu sais l’Estonie, ce n’est pas comme ici, les gens sont plus corrompus et il y a des organisations mafieuses qui sont assez puissantes.
Comment as-tu fait pour t’endetter à ce point ?
Pour les dettes du gouvernement, c’est dû à la location de mon appartement deux semaines avant de perdre mon emploi. Je n’ai pas pu payer pendant quelques mois parce que je n’ai pas retrouvé de travail derrière. Pendant cette période pour m’en sortir, j’ai donné quelques coups de main à ces fameux types avec qui il vaudrait mieux ne pas traîner…
Du coup tu es parti sans te retourner ?
Je ne craignais pas pour ma vie, mais c’est sûr que je n’aurais pas été très tranquille si j’étais resté là-bas. J’aurais peut-être même dû faire un peu de prison. Sans parler des mecs à qui je devais des sous qui ne risquaient pas non plus de me laisser en paix trop longtemps. A l’époque, j’ai rencontré une meuf en soirée qui m’a dit qu’elle était passée par une communauté hippie à Bénéficio en Andalousie. Alors un jour, j’ai décidé de me casser et d’aller voir ce qu’il se passait là-bas.
C’était comment la communauté hippie?
C’était super cool au début. J’avais 23 ans, je galérais et l’ambiance conviviale de la communauté était grisante. Tu te dis que c’est un monde magique, un véritable retour aux sources hippies et toutes ces merdes. Au final, tu te rends compte que c’est peut-être partagé par certaines personnes mais qu’il y en a aussi énormément qui sont là pour se la coller sans rien branler. Il y avait aussi des problèmes de racket et de vols sous le prétexte du partage. Ce côté-là m’a un peu gonflé. Mais sinon je vivais avec des punks et d’autres weirdos (NDLR des gens bizarres).
Comment faisais-tu pour vivre ?
Dans la communauté, il y avait plusieurs moyens pour subvenir à ses besoins. Tout le monde cultivait des plantes. Certains partageaient la bouffe. On faisait pousser également de la weed et on la revendait à Grenade à des gens de passage. On la monnayait pour presque rien, c’était vraiment : « Je te passe une cagette de weed pas sèche avec les branches, et toi tu me passes 50 ou 100 balles suivant sa taille. »
En Andalousie ces communautés sont réputées puisqu’on y trouve toutes sortes de drogues, tu confirmes?
Oui, tu pouvais trouver n’importe quoi là-bas. Notre commerce n’était pas sérieux, mais il y avait des mecs qui montaient des réseaux structurés. Ils se faisaient livrer toutes les drogues chimiques qui puissent exister et ils revendaient dans la communauté ou le plus souvent à Grenade. Tu sais c’est l’Andalousie, c’est la porte d’entrée depuis l’Afrique alors il n’y a vraiment aucun problème à trouver des drogues et pas chères en plus.
Qu’est ce qui t’a fait quitter la communauté?
Comme je te disais, l’ambiance était pas forcément géniale, il y avait même pas mal de violence. Alors je me suis dit que c’était le moment de partir. Et puis pour ne pas te mentir, je voulais vraiment vivre à côté de la mer. Un mec de Bénéficio m’avait parlé de la ville de Nejra et des grottes qui surplombaient la mer, et je n’ai pas hésité à bouger.
Tu es arrivé ici il y a plus d’un an. Tu t’es tout de suite installé dans cette grotte?
Non elle n’était pas libre au départ. Elle était déjà squattée par plusieurs mecs qui ne semblaient pas du tout vouloir que je m’installe avec eux. Alors j’ai vécu sur la plage pendant un mois. Puis, je me suis installé dans une grotte plus éloignée du village. Elle se trouvait à deux kilomètres et était plus petite que celle dans laquelle je vis actuellement. Ici c’est presque le luxe.
Justement, tu n’étais pas habitué à ce mode de vie en partant d’Estonie non?
Ah non pas du tout. En Estonie j’étais un ado d’intérieur, je jouais pas mal à la console et je sortais avec mes potes. Mais je vivais toujours dans une chambre ou un appart, un cadre aux antipodes d’ici. On peut dire que mes parents faisaient partie de la classe moyenne locale.
Comment vis-tu le fait de vivre depuis quelques années sans eau courante, sans électricité et sans le confort auquel tu étais habitué en Estonie?
Au début ça allait. J’avais à peine plus de 20 ans, c’était l’aventure. Dans la communauté hippie, on avait de l’eau mais aussi des panneaux solaires, tu pouvais toujours trouver de quoi charger ton portable, prendre ta douche, etc. Ici à Nejra c’est plus compliqué. On vit dans une grotte sur la plage, alors pour l’électricité c’est mort, on va recharger nos téléphones dans un bar du village quand on en a besoin. Pour les douches, on utilise celles de la plage ou on se lave dans la mer. Le côté qui me dérange le plus, c’est la saleté. Dans la grotte, il y a de la poussière partout, c’est normal, mais c’est très pesant. T’imagines te lever le matin et tu sais que t’es plus sale que la veille…
Comment te débrouilles-tu pour la nourriture?
Alors là c’est peut-être la partie la plus simple et marrante. On « récupère » (« recycle » en anglais). C’est à dire que l’on fouille les poubelles à la recherche de produits encore consommables. Et là, c’est incroyable ce que l’on peut trouver. Parfois, on compte les denrées qu’on ramène et on se rend compte qu’on a pour plus de 50€ de produits encore frais. Pour ça l’Espagne est assez accueillante. C’est dans la culture ici, même les fast-food nous réchauffent les pizzas invendues et nous les donnent le soir venu.
Petite anecdote, il m’est arrivé de manger des filets de bœuf pas encore périmés et jetés par les touristes plus d’une fois, alors que je n’en avais pas mangés durant mes deux ans passées au sein de la communauté hippie (rires).
Crédit de Une : Doctor Cash
Doctor Cash