Une nuit en clinique psychiatrique, ce n’est pas fantastique, on ne peut pas pour autant dire que ce soit dramatique (+2 rimes). Mais c’est loin d’être l’extase. Surtout une première nuit. Même si l’on a déjà essuyé les marches et les couloirs de plusieurs hôpitaux, débarquer dans une nouvelle clinique, c’est apprivoiser une autre bête noire. Le but, les apparences paraissent semblables. Pourtant on y vit rarement la même chose. C’est foncer dans le mur de la gare 9¾ pour la première fois, sans réellement savoir si Poudlard nous accueillera en tant que Gryffondor ou en tant que Serpentard. Comme toujours, les rumeurs vont bon train, seulement dans ce genre de situation rien ne vaut l’opinion d’un patient récent. Alors, on fait la sourde, l’aveugle, la muette. On tente notre chance. Et pis, c’est tout.
Je me souviens bien de cette fameuse nuit, je peux encore sentir la pâleur lourde de la chambre, l’odeur dérangeante du désinfectant, cette terreur sourde à l’idée de fermer les yeux, cette idée que la nuit serait bien longue. Et surtout ce coup de massue qui martelait mon crâne pour m’annoncer que ce n’était encore que le début. J’assistais à la ronde des infirmiers déambulant dans les chambres pour voir si : « Tout va bien mademoiselle ? Un verre d’eau ? ». Je congédiais alors timidement les « assaillants » (ces derniers d’un signe d’approbation me pensaient calme et sereine) et j’essayais de me concentrer de nouveau sur ma lecture. Seulement, le film de ma journée tournait en boucle tel un disque rayé, en particulier l’entretien avec cette interne insensible.
Une arrivée implique un échange, plus ou moins long, avec le médecin qui s’occupera de votre cas. Néanmoins, comme toujours, celui qui doit vous prendre en charge n’est pas là pour X raisons (partie de golf, accident de petit-déjeuner), une tierce personne est donc nommée pour mener à bien votre installation. Cet individu n’a certainement jamais lu votre dossier, sinon ce n’est pas drôle…
Malgré le nombre d’entretiens à mon actif, il s’agissait toujours d’une épreuve délicate où mon taux de stress montait en flèche. Je me revois encore assise maladroitement face à ce beau monde, une infirmière, une stagiaire et cette fameuse interne blonde, au regard de banquise polaire. Je ne pouvais m’empêcher de gigoter, tandis qu’elle continuait de bavasser ses questions. Aux côtés de mon père, je devais répondre, expliquer de long en large mon parcours, résumer ma vie et ses déboires le plus simplement possible. Comme à l’accoutumée, je déclarais sans émotion particulière les aléas de ma vie… Et le pourquoi de ma venue. Je ne fis pas attention à son regard de plus en plus médusé, tandis qu’elle prenait des notes, ni à ceux compatissants des deux infirmières. J’avais besoin de parler pour me vider et sentir que l’on pouvait me comprendre un peu. A la fin de ma tirade, elle ressemblait à l’iceberg du Titanic… J’allais jouer le rôle du paquebot. Elle déversa alors son fiel ardent et brûlant. Elle ne comprenait pas comment je pouvais rester si calme en narrant mes déboires plus navrants les uns que les autres. Plus elle parlait, plus je me ratatinais. Je devenais minuscule. Je sentais mon père prêt à bondir, tandis que ma vue se brouillait. J’étais à deux doigts de devenir une « fontaine sur jambes ».
Repliée en position fœtale sous les draps, j’entendais encore les phrases de cette interne résonner dans mes oreilles. Ses menaces sur mon internement dans un service fermé, des piques envoyées sans compassion et once d’humanité bourdonnaient dans ma boîte crânienne. Elle m’avait annoncé violemment (oubliant de mettre des gants) que j’étais entrée libre mais que je n’en sortirai que lorsqu’elle le voudrait. Comme si, j’avais accepté de venir ici dans l’unique but de faire leur satané test. Elle pouvait (tout de même) décider de m’enfermer dans sa taule, sans que j’aie mon mot à dire.
J’étais totalement chamboulée dans ce lit parfumé à l’odeur d’hôpital. En pleine crise d’angoisse, il était humainement impossible de se détendre. Imaginez mille larmes bouillonnantes parcourant ma peau crème anglaise et trébuchant sur mes nerfs. J’étais crispée, la mâchoire serrée et mon cœur congelé faisait fondre sa neige par mes paupières. Tandis, que je me répétais en boucle le film de ma journée, mon incapacité à me défendre face à cette femme aride et cette terreur qui grondait dans mon ventre.
En désespoir de cause, je me rattachais aux paroles de mon père, à celles de l’infirmière, j’essayais de les appliquer comme un baume afin de panser ma peur. Je revois encore cette gentille femme fusiller du regard, remettre à sa place la Reine des Glaces, en m’assurant qu’elle n’avait aucunement ce droit, qu’elle était nouvelle, et surtout pas très douée niveau psy : « Ne t’inquiète pas, personne ne détient cette autorité sur toi. Tu es libre de tes choix. »
Afin de trouver le sommeil, j’essayais de me remémorer ses excuses, sa pâleur lors de ma transformation en âme en peine puis sa confusion face à sa propre bêtise. Histoire de fermer les yeux, de stopper momentanément cette insomnie d’angoisse et cette faux lacérant mes synapses accompagnée d’une ombre abjecte et d’une noirceur abyssale.
La nuit fut courte, ponctuée de cauchemars, de réveils en panique où j’ouvrais les yeux, persuadée d’être chez moi. Je fus secouée par un infirmier à 5 heures du matin. J’étais en sueur, la bouche pâteuse, la grimace des mauvaises nuits sculptée sur mon visage. Bref, je devais avoir une tête affreuse, et ce vampire des temps modernes prit soin de mes veines, sans que je comprenne réellement ce qu’il foutait là. Je n’aurais définitivement pas obtenu le rôle de Bella et de toute façon, il n’avait pas le regard touffu d’Edward…
Après m’être rendormie, je passais vite fait par la salle de bain, afin de me débarbouiller un peu, de camoufler les valises violettes sous mes yeux. Routine médicale oblige, je devais me rendre en salle de soins avant de plonger vers le self. Je tirai sur les manches de mon gilet en avançant timidement, les yeux dans le vide. J’observai les patients défiler pour le fameux check matinal, écoutant d’une oreille discrète les conversations, j’étais alors témoin d’un monde que je refusais de voir. Je désirais ardemment sortir de ce corps condamné aux griffes du Cerbère. Tout ceci était terriblement troublant. Je pouvais détailler les habitudes robotiques des infirmières, leurs hochements de tête perpétuels, leurs rites verbaux et leurs poncifs qu’elles ressortaient à toutes les sauces. Je captais alors une conversation, entre une dame d’une quarantaine d’années, bégayante et une infirmière glaciale (fréquence 666 FM). Elle aurait pu jouer à Candy Crush en même temps, sans que le résultat en soit bouleversé.
– Bien dormi ?
– Bof. Pas trop, ma maison me manque vous savez, et pis ma fille va passer de toute façon. Je pourrais savoir ce qui se trame quand je ne suis pas là.
– Hum. Des douleurs ?
– Aux lombaires, je suis une vieille pomme maintenant.
– Je le dirai au médecin. Et la selle ?
– Oui, hier matin, je ne sais plus trop… l’après midi peut-être
Comme d’habitude, je constatais qu’une fois pris en charge par un service médical, le patient perdait de son intimité. Et malgré mes nombreux séjours en HP, cela me gênait toujours autant. Des dialogues matinaux se résumant en un interrogatoire, où le patient recherche du regard l’humanité d’une infirmière (maton ?) qui note tous ses dires, sans prendre la peine de lui adresser ne serait-ce qu’un sourire. Parfois, il pourra bénéficier d’un maigre rictus, mais guère plus. Imaginez des lèvres pincées offrant de somptueuses grimaces aseptisées !
Bien entendu, il y a les exceptions qui confirment la règle. Certains exercent tout de même avec humanité leur métier, mais dans ce pavillon les robots avaient pris le pouvoir.
Direction le self, à tribord toute capitaine, s’il vous plaît ! Trottinant entre les patients, tel un vautour en phase d’observation, j’essayais de comprendre le fonctionnement du cuistot. Après avoir (enfin) capté où se déroulait le ravitaillement, avoir répété deux fois à l’Homme de cuisine que « Oui, juste un thé, je vous prie. Non, non, je n’ai pas faim. Oui, oui je suis certaine » le tout en affichant mon plus beau sourire contrit face à son air ahuri. Je pus déguster mon thé à vitesse grand V sur la « pergola », évitant ainsi soigneusement la compagnie d’autrui.
« Bip-bip » dans les jambes, je longeai les couloirs en mode fusée à réaction, histoire de ne croiser aucun regard. Une respiration excédée plus tard, assise en tailleur sur mon lit. Je me demandais si je ne ferais pas mieux de dormir. Sauf que l’on m’avait priée de venir choisir mes repas futurs. Et pour sûr, je ne comptais pas louper cette occasion. Un peu de contrôle, voici la seule béquille qui me restait. Pas question de la laisser filer. Face au Cuistot en chef qui s’affairait sur sa tablette électronique (On est à Monac’, ou pas ?) se trouvait un petit groupe de patients qui attendait sagement leur tour. Je sentais la gelée monter dans ma gorge. Personne ne m’avait encore vue… Soulagement intense. Je tentai alors de faire machine arrière pour revenir quand il y aurait moins de personnes autour. Et qu’accessoirement personne ne me fasse de remarques sur le peu de bouffes que j’allais choisir (déjà le cuistot, pas les autres, par pitié).
Seulement mon moonwalk approximatif me fit percuter un homme vêtu d’un bleu de travail. Les mains brassant l’air, je me confondais en excuses bruyantes. Discrétion zéro pointé. « Bravo ma grande ! »
Mais, je fus rassurée par un sourire amusé. En arrêtant le flot d’excuses de ma bouche, je reconnus son visage. Son tatouage un peu tribal m’avait sauté aux yeux lors du repas matinal. Une sorte d’Ouroboros imprimé dans le cou, c’était peu commun. Ses yeux bleus foncés me souriaient. Il y eut alors un silence assez étrange. J’étais gênée parce qu’il semblait attendre que je parle. Mais à vrai dire, les mots restaient prisonniers dans ma gorge. Finalement, je parvins tout de même à lui expliquer faussement la situation, en inventant un oubli fondamental dans ma chambre. « Pas si bête, la guêpe ». Je doute qu’il fut dupe. Toutefois, il me regarda un moment, avant de prononcer avec un accent indéfinissable « A plus tard alors ». Je crus par la suite apercevoir l’ombre d’un clin d’œil rieur sur sa figure, seulement j’étais trop occupée par ma fuite supposée « digne », pour en être certaine.
J’étais partagée entre l’idée certainement paranoïaque d’avoir été l’archétype de Candy, et celle fortement romanesque d’avoir trouvé un éventuel allié. M’enfin, une fois dans ma chambre, je retrouvai mon ombre, sa main de fer. Et sa froideur solitaire, paradoxalement réconfortante.
Doctor Lilith
Crédit de une : @emo_girlx : twitter